Lucie forget

Entrevue : Lucie Forget, 6 ans plus tard

Après six ans à la tête de l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec (OPPQ), Lucie Forget tire sa révérence la tête haute, avec le sentiment du devoir accompli. Elle tient toutefois à rappeler que le rôle du président n’est pas de se faire aimer et d’avoir un discours qui fait plaisir aux membres, mais plutôt de donner l’heure juste et de faire preuve de transparence quand vient le temps de faire part des décisions prises au Conseil d’administration.

« Je me suis fait un devoir pendant toutes ces années de dire les vraies affaires aux membres et le pourquoi des décisions. Les membres en général sont reconnaissants d’avoir la vérité au lieu de se faire promettre quelque chose qui n’arrivera pas », affirme-t-elle avec fierté.

Entrevue avec la présidente sortante.

Pourquoi avez-vous finalement décidé de ne pas vous représenter?

À mon avis, on doit se reposer la question si on veut se représenter ou non à chaque mandat en considérant notre cheminement personnel et professionnel. J’ai donc fait ce même processus pour ce troisième mandat. Au moment de prendre la décision, il m’est apparu très clairement que j’avais atteint la majorité, sinon tous les objectifs que je m’étais fixés il y a six ans.

Je me suis posé la question quant à savoir si d’autres objectifs émergeaient pour un troisième mandat et c’est au cours de ce processus que j’ai réalisé que j’avais des objectifs de carrière qui m’amenaient ailleurs. En toute transparence et en toute honnêteté, j’ai choisi d’aller vers d’autres défis. J’ai un plan de carrière qui est encore en devenir, donc je ne laisse pas le milieu de la physiothérapie, mais je vais concentrer mes compétences vers des défis autres.

Avez-vous des regrets par rapport à votre mandat?

Non, je ne pourrais pas dire que j’ai des regrets. Par contre, je peux dire qu’après six ans, je suis allée au bout de ce que je pouvais apporter dans cette fonction.

Quelle est votre plus grande fierté par rapport à votre mandat? 

Ma plus grande fierté est d’avoir bien fait mon travail. Je suis arrivée ici il y a six ans et il y avait plusieurs choses à redresser. En six ans, l’ensemble des programmes, des processus et des services de l’Ordre ont été modernisés puis adaptés aux besoins des membres et des futurs membres. Ainsi, tous les programmes, les services et les mécanismes de contrôle à l’Ordre, notamment, l’inspection professionnelle, l’admission à la profession et la formation continue, avaient besoin d’un virage pour s’adapter aux nouvelles façons de faire modernes et issues de données probantes en terme de réglementation professionnelle.

Ma plus grande fierté est donc d’être allée dans des organismes de réglementation autant canadiens qu’internationaux afin de connaître les assises théoriques issues des données les plus à jour pour moderniser nos programmes. Ainsi, nous avons revu le programme d’inspection professionnelle, notre politique d’amélioration continue des compétences et nos mécanismes pour évaluer les candidats qui demandent des permis à l’Ordre et qui viennent de l’extérieur du Québec ce qui représente beaucoup de travail.

De 1973 à 2008, c’était à peu près la même culture à l’Ordre de la physiothérapie et quand je suis arrivée, c’était vraiment urgent qu’on révise tous ces mécanismes afin de les moderniser.

Qu’attendez-vous de votre successeur?

J’ai le grand espoir que la personne qui va me succéder va à tout le moins continuer dans la même lignée de garder l’OPPQ comme un chef de file en matière de réglementation professionnelle. J’espère que mon successeur va toujours continuer d’être à l’affût des nouvelles façons de faire en matière de réglementation.

Une autre réalisation dont je suis très fière est le comité gouvernance qu’on a mis en place au Conseil d’administration. Ainsi, le président de l’Ordre se veut un porte-parole de son Conseil d’administration et c’est lui qui assure le suivi des décisions prises. J’espère que la personne qui va me succéder prendra en compte ces deux aspects. Il doit considérer qu’il est un porte-parole d’un Conseil d’administration où 24 personnes siègent et il doit s’assurer, lors de ses sorties publiques, de bien représenter le Conseil d’administration.

Afin d’assurer le suivi des décisions, le président doit travailler main dans la main avec la haute direction de l’Ordre, notamment le directeur général et les secrétaires. J’aimerais aussi qu’il continue d’adopter de bonnes règles de gouvernance au Conseil d’administration parce qu’on a travaillé très fort à revoir les rôles de chacun et à ce que le Conseil d’administration soit performant.

Quel candidat considérez-vous le plus apte pour prendre la relève?

*NDLR : Il est à noter que la présidente sortante de l’OPPQ, madame Lucie Forget, ne connaissait pas les résultats de l’élection lors de l’entrevue. [1]

Je pense que les trois candidats ont leurs forces et leurs limites et elles ne sont pas les mêmes. C’est aux membres de décider et il faut respecter leur choix puisque nous fonctionnons par suffrage universel.

Cependant, il y a une différence entre ce quelqu’un peut dire en campagne électorale et la réalité quand on est en poste comme président. La campagne est une bonne place pour brasser des idées, mais la réalité est que les décisions se prennent à 24 personnes au Conseil d’administration.

Je suis responsable de transmettre les dossiers au nouveau président et il y a certaines choses et des décisions qu’il devra s’approprier. Je pense qu’il est important pour la nouvelle personne d’être à l’écoute de tout ce que le Conseil d’administration a fait. Voici un exemple bien précis concernant des dossiers qui sont discutés à l’Ordre depuis plusieurs années : l’intégration d’autres professionnels à l’Ordre.

Il s’agit d’un dossier qui était déjà sur la table quand je suis arrivée, ça fait six ans qu’on en parle au Conseil d’administration et on y investit beaucoup de temps et d’énergie. Je pense que les membres doivent s’attendre à ce que le Conseil d’administration soit responsable et qu’on ne jette pas aux poubelles plus de six ans de travail concernant un dossier, surtout quand des décisions ont déjà été prises à ce sujet. 

Comment expliqueriez-vous le faible taux de participation aux élections de l’OPPQ? 

Je veux peut-être défaire un mythe parce que je ne considère pas qu’il s’agit d’un faible taux de participation. Près de 50 % des membres votent et si on se compare aux autres ordres professionnels, on n’est pas dans ceux qui participent le moins. Dans plusieurs ordres professionnels, il n’y a même pas d’élection à la présidence. Dans certains ordres, notamment ceux des ergothérapeutes et orthophonistes-audiologistes, les candidats sont acclamés et il n’y a jamais de campagne. Il n’y a même pas d’élection.

J’ai vu qu’une certaine personne affirme que le taux de participation est bas et je ne suis pas d’accord. Les physiothérapeutes et les thérapeutes en réadaptation physique, contrairement au mythe, s’impliquent énormément dans les élections. Pour toutes sortes de raisons, on est l’ordre champion dans la tenue d’élections tout court.

La moitié des ordres ne sont pas au suffrage universel et les présidents sont élus à même le conseil d’administration. Ainsi, les membres ont zéro chance de s’exprimer lors d’une élection parce que ce sont les administrateurs à l’intérieur du Conseil d’administration qui élisent leur président.

Quel est, selon vous, le principal enjeu de la physiothérapie?

Le plus grand enjeu est qu’on a une profession plurielle. On a une profession plurielle au niveau du type de pratique que nos membres choisissent de faire que ce soit en terme de clientèle, de milieu de travail (privé ou public) ou en terme de développement professionnel.

De plus, on a des  membres cliniciens, professeurs, chercheurs, gestionnaires, on a des gens qui opèrent dans plusieurs sphères de la société et de la physiothérapie et je pense que l’enjeu présentement est qu’il faut qu’on se tienne ensemble et il faut éviter de se diviser à l’intérieur même de notre profession. Il faut qu’on soit cohésif. Il faut qu’on prenne les forces de chacun et qu’on bâtisse une cohésion professionnelle.

Pas seulement entre les physiothérapeutes et les thérapeutes en réadaptation physique, mais entre les physiothérapeutes qui décident de faire de la thérapie manuelle, les physiothérapeutes qui décident de faire de la réadaptation au niveau de la neurologie, les physiothérapeutes qui décident d’aller travailler avec les personnes âgées, ceux qui font de la rééducation périnéale, etc. Je pense que spécialistes, généralistes, cliniciens, bref toutes les forces vives de la profession doivent se mettre ensemble, dans la plus grande inclusion possible, pour parler d’une seule voix.

De plus, on a des défis qui s’amènent. Par exemple, on a un nouveau règlement pour les gens qui font ou qui veulent faire des manipulations stipulant qu’ils doivent demander une attestation à l’Ordre pour faire reconnaître leur formation et ainsi faire des manipulations.

C’est un défi parce qu’il s’agit d’une contrainte légale qui nous est imposée par le gouvernement. Il faut que les physiothérapeutes comprennent que ce n’est pas l’Ordre qui a amené cette exigence, mais bien le gouvernement qui est notre patron. Les physiothérapeutes doivent comprendre que cette exigence n’émane pas de l’Ordre et que c’est pour le bien du public.

Ils doivent adhérer à cette demande d’attestation pour pouvoir ensuite publiciser qu’ils sont des professionnels qui font des manipulations. Il s’agit là d’un exemple d’un simple règlement, mais il y  aura d’autres règlements et l’Ordre est souvent vu comme celui qui met dans les bâtons dans les roues.

Or, l’Ordre ne met pas des bâtons dans les roues. Il est là pour assurer la protection du public. Il a un patron qui est le gouvernement et il doit jouer la partie en respectant les règles du jeu. Je pense que le fait de se serrer les coudes et de travailler tout le monde ensemble afin d’atteindre un même but est la stratégie gagnante à adopter.

Que pensez-vous de la création possible d’une association québécoise de la physiothérapie?

Ce projet est très important à mes yeux et ça fait six ans que je vais aux rencontres avec l’Association canadienne et que j’adhère à cette idée d’association. Chaque fois que j’en ai l’occasion, je dis aux membres, autant aux physiothérapeutes qu’aux thérapeutes en réadaptation physique, que certaines de leurs revendications bénéficieraient d’être portées par une association qui n’a pas les mains liées par leur mandat gouvernemental qui est imposé par la loi.

Je suis très contente qu’il y ait des avancements. C’est vraiment  un sujet qui me tenait à cœur dès mon arrivée et voir que ça a fait du chemin et que des gens sont sur le point de réaliser ce projet me ravit.

Quels sont vos plans à la suite de votre départ?

À court terme, je retourne à l’enseignement au niveau collégial. Je suis aussi en développement d’un plan de carrière dans lequel je vais pouvoir mettre à profit les compétences que j’ai acquises pendant mes six ans à la présidence de l’OPPQ.

Physiotherapeute.com souhaite la meilleure des chances à Mme Forget et la remercie de sa générosité pour avoir participé à cet exercice.

Références

  1. La prise de rendez-vous s'est faite le 9 mai 2014 pour une entrevue le 14 mai. L'entrevue initiale de 3000 mots est disponible mais été tronquée pour des fins de lecture.

Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec