Enfants avec une fracture au bras

Les analgésiques des fractures pédiatriques

Les évidences scientifiques et cliniques le démontrent : le contrôle de la douleur post-fracture en pédiatrie est inefficace, sous-optimal et tarde considérablement à être appliqué.

Quand on sait que ces atteintes osseuses représentent de 10% à 25% des blessures auprès des jeunes enfants, il y a lieu de chercher à se perfectionner [1].

La médication existe, est abordable et repose sur des évidences solides, me direz-vous. Soite, mais entre la codéine, l’ibuprofène et la morphine par voie orale, quel choix faire pour soulager le plus efficacement les douleurs liées aux fractures auprès des enfants ?

En tant que pharmacien, c’est une question que de nombreux physiothérapeutes me posent. Tant pour parfaire leurs connaissances que pour développer un argumentaire solide aux patients qui cherchent à comprendre cet épineux débat.

Exit la codéine

La morphine peut être administrée de différentes façons, orale et intraveineuse, mais également par l’intermédiaire de la codéine. Une fois avalé, le comprimé en contact avec le métabolisme, se convertit en morphine.

Or, la codéine est malmenée depuis la découverte d’une variation génétique, présente chez certains enfants. Cette dernière augmenterait drastiquement son rythme de conversion de la morphine et résulterait en une intoxication mortelle.

C’est ainsi qu’un groupe de chercheurs, incluant des membres de l’Institut thoracique de Montréal, rapportait la mort d’un jeune enfant de 2 ans, suite à la prescription de codéine en post opératoire.

Dans la correspondance destinée au New England Journal of Medicine [2], les auteurs précisent avoir administré des doses en respectant les recommandations cliniques et les balises établies.

Comparer morphine orale et ibuprofène

Pour éluder les interrogations quant à l’efficacité de la morphine orale en comparaison avec l’ibuprofène, un groupe de chercheurs ontarien vient tout juste d’éclaircir la situation, en publiant fraîchement une étude dans le Journal de l’Association médicale canadienne.

L’étude clinique randomisée ciblait les enfants s’étant présentés à l’urgence avec une fracture simple aux extrémités, exempte de complications et ne nécessitant pas de prise en charge chirurgicale. Parmi les 184 patients, 66 ont reçu de l’ibuprofène et 68 de la morphine.

Puis, la douleur a été mesurée avec l’échelle des visages[3]. Les scores, de gauche à droite, variant entre 0 et 10. La côte 0 correspond donc à « pas mal du tout » et 10 correspond à « très très mal ».

Échelle du visage

Finalement, les chercheurs ont varié les doses et pris des mesures à quatre temps différents, afin de s’assurer qu’il n’existe pas de disparité possible si la quantité d’ingrédients actifs adiminstrés varie.

Constation majeure, et non la moindre, les deux modalités seraient aussi efficaces quant à l’action anti-douloureuse. L’ibuprofène serait favorisé, puisqu’il a moins d’effets secondaires que la morphine orale. En effet, près d’un tiers des enfants ont rapporté de la somnolence subséquemment à la réception des produits.

La sous-optimisation du contrôle algésique

Or, le débat ne s’arrête pas là. Encore faut-il administrer ces analgésiques. Un jeu d’enfant ? Beaucoup moins qu’il n’en parait.

Une étude menée à Edmonton, auprès de 543 patients s’étant présentés à l’urgence pédiatrique avec des douleurs musculo-squelettiques, rapporte que l’évaluation et la prise en charge de la douleur laissent à désirer chez les enfants [4].

En la matière, la préférence des urgentologues à l’endroit de certaines modalités analgésiques est claire.  Parmi les enfants qui ont reçu une prescription, l’ibuprofène était sacré champion, puisque recommandé à 60% des 214 enfants.

Pourtant, le délai entre le triage et l’administration du premier analgésique pouvait aller jusqu’à 4 heures, ce qui est énorme. C’est selon moi, une illustration de l’éducation qu’il reste à faire auprès de l’ensemble des professionnels impliqués dans le continuum de soins.

Les impacts collatéraux de la douleur

La douleur représente un enjeu de première importance chez les enfants puisque les effets secondaires à une prise en charge sous-optimale sont nombreux et peuvent affecter le développement.

Après tout, les douleurs sous-jacentes à une fracture contribuent à un séjour hospitalier prolongé, une consolidation osseuse réduite, un retard de guérison et à des traumatismes psychologiques, de l’anxiété, à l’hyperesthésie en passant par la peur des professionnels de la santé [5].

VOIR AUSSI : Promotion de l’activité physique chez les enfants

En tant que professionnels qui agissez en première ligne, les physiothérapeutes et les thérapeutes en réadaptation physique en savent quelque chose. Après tout, la douleur est au coeur des problèmes de vos patients.

Et rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Ce n’est pas pour rien que l’Organisation mondiale de la santé a nommé la gestion de la douleur pédiatrique parmi ses inquiétudes majeures [6].

L’Americain Academy of Pediatrics a emboîté le pas et milite activement pour un usage responsable des analgésiques comme traitement à la douleur aiguë chez les enfants.


À propos de l’auteur

Mehmet Erdogdu est un pharmacien membre de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Détenteur d’un diplôme de premier cycle de la Faculté de pharmacie de l’Université Laval, il oeuvre comme pharmacien affilié au groupe Jean Coutu.

Références

  1. Landin LA. Epidemiology of children’s fractures. J Pediatr Orthop B 1997;6:79-83. (Lien)
  2. Ciszkowski & al. Codeine, Ultrarapid-Metabolism Genotype, and Postoperative Death. New England Journal of Medicine, 2009. (Lien)
  3. Faces Pain Scale - Révisée.(Lien)
  4. Ali S. & al. Pediatric musculoskeletal pain in the emergency department: a medical record review of practice variation. Journal Canadien de la médecine d'urgence.  (Lien)
  5. Taddio, A. (1999). Effects of early pain experience: the human literature.
  6. Organisation mondiale de la santé. WHO guidelines on the pharmacological treatment of persisting pain in children with medical illnesses. 2012. (Lien)

Pharmacologie