Exclusif : Entrevue avec Gilbert Chartier
Impliqué dans l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec depuis plus de trente ans, Gilbert Chartier est directeur de l’inspection professionnelle depuis quatre ans. Il prône la consultation des membres et le travail collaboratif pour mener à bien des projets dont l’objectif est l’avancement des professionnels de la physiothérapie.
Pourriez-vous préciser votre prise de position sur l’intégration dans l’OPPQ des ostéopathes, kinésiologues, thérapeutes et autres groupes?
Si je suis élu, mon rôle sera de recueillir les informations, les besoins et les attentes de l’ensemble des membres à travers le comité prévu. Je défendrai la position du Conseil d’administration. Je ne pense pas que l’Office des professions nous imposera l’intégration d’autres groupes comme ça s’est fait avec thérapeutes en réadaptation physique.
Si les thérapeutes du sport et les ostéopathes ne sont pas intéressés à rejoindre l’Ordre, ce sera leur décision. Si les physiothérapeutes et les TRP ne veulent absolument pas l’intégration d’autres groupes, le Conseil d’administration devra prendre une décision dans ce sens selon moi.
Un argument en faveur de l’intégration est un meilleur contrôle de la pratique des membres. Je prends l’exemple des TRP : avant qu’ils soient intégrés, nous n’avions aucun droit de regard sur leur pratique. Présentement, on procède selon un processus d’autoévaluation. Les TRP sont évalués par des TRP et on réalise que certains ne possèdent pas les préalables pour travailler. Il s’agit donc d’un des arguments en faveur d’une intégration, mais je ne connais pas les autres et je serais curieux de les connaître.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres candidats?
Je suis physiothérapeute depuis 33 ans et j’ai toujours été impliqué à l’OPPQ. C’est ma façon de contribuer à l’avancement de la profession. Mon premier emploi a été à l’Ordre alors que je travaillais aux communications. J’ai toujours été membre d’un comité, j’ai fait partie du Conseil d’administration et du comité exécutif et j’ai été président de certains congrès.
J’ai été clinicien pendant 20 ans, j’ai été gestionnaire et j’ai fait une maîtrise en gestion ce qui m’a amené au poste à la direction de l’inspection professionnelle. J’ai fait un grand virage en ce qui concerne le processus de l’inspection. J’ai aussi changé la perception des membres qui voyaient l’inspection de façon négative. On a démocratisé et responsabilisé les gens en leur permettant de faire une auto-évaluation.
J’ai travaillé à fusionner avec la Direction du développement et du soutien professionnels deux entités (la formation et l’inspection) afin d’établir la politique d’amélioration continue des compétences. Les gens savent maintenant que l’inspection n’est pas là pour punir, mais qu’elle est là pour les aider à combler les manques et à ajuster leur pratique en fonction des lacunes observées.
Que pensez-vous de l’instauration des programmes de doctorat de premier cycle en physiothérapie, comme il se fait aux États-Unis?
Il s’agit d’une évolution normale des professions. Il y a une dizaine d’années, on a eu un colloque sur l’accès à la profession par le niveau maîtrise et on se demandait déjà si on ne devrait pas tout de suite sauter au doctorat plutôt qu’attendre quelques années en passant par la maîtrise.
Je ne suis pas contre, mais il faut qu’on réétudie les enjeux, car il y a des enjeux à exiger un doctorat. Il y a aussi des avantages tant pour le professionnel lui-même que pour les services à la population.
Quel enjeu est le plus important pour les professionnels de la physiothérapie?
Le plus grand enjeu est d’avoir les outils nécessaires pour rendre accessible la physiothérapie à la population ce qui rejoint toute la notion des pratiques avancées des spécialités. Avoir les physiothérapeutes au bon endroit au bon moment pour le bon problème et éviter les étapes intermédiaires est une solution.
Il faudrait réussir à trouver la brèche qui va permettre aux professionnels de la physiothérapie d’avoir accès à un monde médical. Le monde médical a ses propres enjeux et ses propres réflexes de protection et je vais travailler fort sur ce dossier parce qu’il s’agit non seulement d’un gros avantage pour les membres, mais c’est un gros avantage pour l’accessibilité des soins à la population.
Quels avantages voyez-vous à avoir été à la fois gestionnaires de thérapeutes en réadaptation physique et de physiothérapeutes?
Quand j’étais chef de la physiothérapie et qu’il était question de l’intégration des TRP, j’ai connu tout le stress que ç’a apporté, car ça ne se faisait pas nécessairement de gaieté de cœur. On parlait d’un décret. Les TRP vivaient une perte parce qu’ils devaient maintenant passer par un médecin et/ou une évaluation du physiothérapeute.
Petit à petit, les collaborations ont avancé. Les jeunes TRP qui arrivaient sur le marché du travail ont eu la formation concernant ces nouvelles pratiques. Ils l’ont appris à l’école alors que les plus anciens ont vécu une perte. J’ai vécu cette transition comme gestionnaire.
À l’Ordre, nous sommes un groupe de professionnels qui regroupent des gens de plusieurs domaines. Les TRP et les physiothérapeutes travaillent aussi de pair. J’ai vraiment une vision de collaboration intradisciplinaire et c’est devenu très naturel pour moi.
Des échos du terrain laissent croire à la formation prochaine d’une association québécoise de la physiothérapie. Quelle est votre position à ce sujet?
Je suis parfaitement d‘accord avec ça. Il ne s’agit pas d’un organisme règlementaire, mais d’un organisme associatif pour l’avancement de la profession. Il y a plusieurs dossiers qui ne relèvent pas d’un ordre professionnel, mais plutôt d’une association et qui concernent la défense des membres.
L’Ordre est là pour défendre le public et bien entendu les membres de façon indirecte. Elle ne doit pas défendre les membres pour des intérêts comme les conditions de travail ou les avantages sociaux au contraire d’une association qui peut faire valoir ces intérêts. Je suis donc parfaitement en accord avec la formation d’une association professionnelle.
De quelle manière pensez-vous informer les 6500 membres des activités de l’Ordre (nouvelles décisions, développements, etc.)?
C’est compliqué de communiquer et de diffuser. En ce qui concerne la diffusion de l’information, il y a des sondages qui ont été faits et qui indiquent que le niveau de pénétration est peu élevé. Je pense qu’il y a beaucoup d’efforts qui ont été faits et j’ai eu des échos terrain à ce sujet. Par exemple, les gens me disent qu’ils ont vu l’annonce à la télévision et qu’ils l’ont appréciée. Je pense qu’il faut continuer de cette façon.
L’Ordre fait des capsules avec la présidente après les Conseils d’administration, il y le Physio Québec express, il y a des envois de courriels et il y a des envois papier ce qui illustre une multiplication importante des moyens de communiquer. Le président pourrait être un petit peu plus présent sur la place publique pour les bonnes raisons (par exemple s’il y a de belles avancées qui sont faites dans le développement en physiothérapie).
Pensez-vous que la tenue de dossiers est une tâche trop académique et qu’elle mériterait d’être modifiée ou à tout de moins adaptée?
J’ai rédigé un article à ce sujet que j’ai intitulé « La longueur d’un dossier ne présume pas de sa qualité ». Il paraitra dans le prochain Physio Québec. Les membres pensent souvent que l’Ordre oblige des tenues de dossiers très astreignantes alors qu’elle exige un minimum par sa fonction règlementaire.
L’Ordre travaille depuis décembre à préparer un cours en ligne sur la tenue de dossiers. Ça fait partie de mon programme que d’aider les cliniciens à avoir plus de temps clinique avec leurs patients sans s’astreindre avec des dossiers qui n’en finissent plus. On a évalué plus de 3000 dossiers depuis trois ans.
Il y a des dossiers courts, brefs et bien montés dans lesquels on voit très bien le raisonnement clinique et les prises de décisions du thérapeute. Il faut faire comprendre aux gens que ce n’est pas la quantité qui compte, mais bien la présence des informations essentielles.
Comment prévoyez-vous élargir le champ de pratique des physiothérapeutes?
Pour implanter les pratiques avancées, on peut procéder des deux façons. Soit on arrive avec nos gros sabots, soit on sème des graines aux bons endroits aux bons moments. Je ne suis pas celui qui va arriver avec ses gros sabots. Je vais procéder de façon subtile et diplomatique afin de démontrer que nous en sommes capables.
Demander à nos physiothérapeutes dans leur milieu de multiplier leurs projets afin d’y arriver progressivement pour démontrer qu’on améliore l’accessibilité des soins au Québec à moindres coûts par des services spécialisés de physiothérapie est la bonne stratégie.
Quelles actions prévoyez-vous pour améliorer la condition des TRP?
Les TRP sont souvent les seuls représentants de la physiothérapie dans leur milieu. Il est donc important de travailler à ce que leur expertise en physiothérapie soit reconnue dans les milieux où il y a des besoins, par exemple dans les CHSLD. On pourrait s’informer sur les règlements afin de savoir si on peut élargir le champ de pratique des TRP comme leur droit à participer à la décision sur la contention.
Ce n’est pas un seul professionnel qui prend la décision de procéder à la contention : c’est un infirmier, avec un ergothérapeute, un physiothérapeute et un médecin. Je voudrais regarder au niveau règlementaire comment le TRP pourrait prendre part à cette décision quand il n’y a pas de physiothérapeute.