Pour avoir un chez soi
Mes bas de comptoirs sont en piètre état; égratignés par le frottement de mes marchepieds de métal, qui les rayent chaque fois que je m’y approche un peu trop brusquement.
Pour ouvrir et fermer mes ronds de cuisson, j’ai recours à une pince ergothérapeutique. Pour me doucher, j’utilise un simplet modeste banc déposé dans le fond du bain. Les interrupteurs chez moi sont atteignables qu’à bout de bras.
Dans mon trois et demi, je possède un beau balcon auquel je n’ai pas accès, en raison d’une fente de porte-patio surélevée.
Trônent au-dessus de ma cuisine huit armoires laissées complètement vacantes tandis que les assiettes s’empilent uniquement dans celles du bas.
Mais ce logement me suffisait, il y a un an, lorsque je recherchais mon premier appartement à moi. Mes seuls critères de l’époque étaient un endroit accessible sans marches qui entravent l’entrée, et dont les cadres de pores étaient à peine suffisamment larges pour laisser passer les 60 centimètres de largeur que représente mon fauteuil roulant.
Sauf que maintenant que ma métamorphose d’adulte établi s’achève peu à peu, je recherche un peu plus de confort. Comme n’importe quelle personne, en fait, je désire un logement adapté en fonction de mes besoins.
À 24 ans, je n’ai jamais eu de four avec porte latéral. Mais ça serait utile en maudit. Je sauverais sûrement une dizaine de piastres mensuellement juste en tourtière échappé dans le fond de la grille.
Je n’ai aussi jamais pu profiter d’un comptoir avec espace au bas, pour que je puisse me positionner aisément avec mon fauteuil roulant lorsque vient le temps de faire ma vaisselle.
Mais aujourd’hui, un peu plus d’un an après avoir aménagé à Montréal, j’ai enfin la chance d’obtenir toutes ces petites adaptations qui faciliteraient oh donc mon petit quotidien.
Car voilà que je déménage, dans quelques mois, dans une coopérative qui propose bien noblement d’adapter ses logements aux besoin des locataires avec une déficience motrice.
Une seule condition s’applique : je dois fournir un rapport d’ergothérapeute, question d’avoir une preuve que j’ai réellement besoin de ces adaptations.
Je n’avais toujours pas de dossier d’ouvert dans un CSSS ou un Centre de réadaptation à Montréal, puisque j’avais à ce jour toujours fait affaire avec mon centre de Beauce. Mais même en ces temps gris de compression, où le réseau de santé manque cruellement de ressources, j’ai cru que ce serait bien facile d’obtenir cette preuve technique.
Bien non. Depuis environ une semaine, deux CSSS se renvoient la balle au bond. Parce que mon nouveau logement n’est pas situé dans le même arrondissement que mon appartement actuel, aucun ergo ne veut s’approprier le dossier à l’eure actuelle.
L’un plaide qu’il est plus logique que je fasse affaire avec le CSSS de mon nouvel arrondissement. L’autre prétend qu’ils peuvent difficilement faire déplacer un spécialiste en dehors de leur territoire, pour venir prendre les mesures. Le manque de coordination est accablant.
La situation est pressante, en plus, parce que je suis censé obtenir une subvention au logement – toujours sous condition que j’obtienne ce damné rapport.
On m’a informé qu’il existait d’autres solutions. Je pourrais, par exemple, faire affaire avec une clinique privé. Mais à cout exorbitant.
Mais encore?
Bien, je peux toujours faire une demande à la Société d’habitation du Québec, pour profiter du Programme d’adaptation à domicile, communément appelé le PAD. Mais le délai actuel pour ce programme est entre deux et trois ans.
Je me suis donc questionné à savoir : est-ce que je dois me risquer à faire une demande PAD à mon âge, sachant très bien que je pourrais être appelé à déménager dans une autre ville pour le travail?
En sachant que mes besoins actuels – un simple trois et demi– pourrait très bien évoluer pour une habitation peut-être moins modeste, si un jour ma blonde aménage avec moi?
Je constate que c’est encore loin d’être aisé, pour une personne handicapée, de se faire son propre nid. Et c’est encore plus difficile pour une personne comme moi, un peu bohème, qui a habité dans quatre ville différentes dans la dernière année et demie et qui n’est jamais trop certain de ce qu’il fera demain.
Pour l’instant, je me retrouve coincé entre deux options : élire domicile quelque part pour le long terme, et ainsi renoncer à ma liberté de conscience de pouvoir quitter quand je veux. Ou conserver cette spontanéité, mais me priver d’une autonomie complète que me permettrait une adaptation à domicile.
Pas facile la vie de nomade handicapé.